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Panier Vide
La toile botanique n° 99

Une plante pour Jean-Jacques Rousseau


 

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La passion de Rousseau pour la botanique fut assez tardive puisque ce n’est que lors d’un séjour dans le Jura suisse, vers 1764, qu’il se prît d’intérêt pour cette science. Par la suite, même si, la passion aidant, il mit les bouchées doubles, il resta un amateur, au meilleur sens du terme. Il demeura cependant complètement détaché des applications de la botanique, et ne fut que moyennement reconnu par les botanistes académiques de l’époque. Même s’il trouvait leur jargon imperméable et leurs intérêts trop matériels, Rousseau en admirait pourtant vivement certains, comme en témoigne sa lettre à Linné, datée de septembre 1771 [1].

Récemment, lors d’une conférence, quelqu’un demanda : « Une plante a-t-elle été dédiée à Jean-Jacques Rousseau ? ». Cette question n’ayant pas reçu de réponse, elle fut posée aux moteurs de recherches. La navigation fut ardue, mais au fur et à mesure que l’internet déroulait les pages, se dressait un portrait de Rousseau et de la botanique de la fin du XVIIIe siècle.

Le réflexe pour ce genre de question est de consulter l’Index Nominorum Genericorum [2], un site qui recense tous les noms de genre. Mais ni « Rousseauia » ni « Rousseauxia » ne donnaient de résultats. Le fameux Ipni (International plant name index [3]), autre ressource incontournable, ne révéla rien de plus, bien que ce soit habituellement une source efficace sur ce genre de question. Ce fut finalement la combinaison « plante + consacrée + Rousseau » qui devait aboutir, au travers d’un livre numérisé par Google [4], où Louis-Isidore Duperrey décrit un voyage autour du monde de 1822 à 1825. De passage à l’île Maurice, Duperrey rencontre « la plante consacrée à Rousseau (Rousseauvia simplex) ».
Ce nom de Rousseauvia est un peu inattendu, mais il entre curieusement en résonance avec un nom forgé par Rousseau lui-même. En effet, dans le Jura, il nomma « Roussavia » l’hépatique noble (Hepatica nobilis), « comme s’il s’agissait d’une dédicace à lui-même », ainsi que le souligne Takuya Kobayashi [5], un spécialiste japonais qui met en ligne une étonnante chronologie illustrée de Rousseau [6].

Avec ce nom de Rousseauvia, il est possible, grâce à [1] et [2], de reconstituer l’histoire de cette dénomination. La plante qui le porte fut d’abord nommée Roussea simplex en 1789 par Sir James Edward Smith. Ce botaniste anglais, fondateur à Londres de la première Société Linnéenne, grand amateur de plantes tropicales, le fit en hommage à Jean-Jacques Rousseau, mort sept ans auparavant. Smith publia ensuite deux volumes superbement illustrés intitulés Exotic botany. Le second volume porte d’ailleurs en exergue une citation de Rousseau : « Il y a dans la botanique un charme qu’on ne sent que dans le plein calme des passions, mais qui suffit seul alors pour rendre la vie heureuse et douce » (découvrir la suite de la citation, plutôt acerbe, et l’ouvrage de Smith à [7]).

La plante fut renommée Roussoa simplex par Römer et Schultes en 1818, puis Rousseauvia simplex par Wenceslas Bojer dans son Hortus mauritianus (le jardin mauricien) de 1837, et Roussaea par De Candolle en 1839. À cette époque, les noms étaient souvent ainsi modifiés, au gré de ce que les auteurs concevaient comme le plus correct ou le plus significatif. De Candolle aurait bien utilisé Rousseauxia, mais il avait déjà utilisé ce nom pour une autre plante, initialement décrite par un botaniste du nom de Desrousseaux. Ce n’est que bien plus tard que le code international de nomenclature botanique vint mettre un peu d’ordre dans la façon de nommer les plantes [8] ([8’] pour une version en français, mais qui n’est plus complètement à jour). Si parfois les changements de noms nous agacent aujourd’hui, pensons à ce qu’ils furent à l’époque.

Les botanistes sont revenus actuellement au nom de Smith, Roussea simplex. Le genre Roussea ne contient que cette espèce, un buisson grimpant endémique des forêts montagneuses de l’Île Maurice, poussant notamment sur les crêtes nuageuses, comme le décrit un site consacré à Maurice et aux Mauriciens [9]. La plante y était autrefois localement abondante, mais devient rare aujourd’hui. Une des plus belles photos du web pour cette espèce illustre un compte rendu de voyage de la Société botanique de France à l’île Maurice [10]. La position systématique de cette espèce a été très discutée, De Candolle l’a d’ailleurs rangée dans une famille pour elle toute seule, les Rousseacées. Une étude récente lui a été consacrée [11], en anglais comme la quasi-totalité de la recherche actuelle. La « plante à Rousseau » y est rapprochée des marbleleaf (littéralement les « feuilles marbrées », genre Carpodotus), des arbrisseaux originaires d’Australie et de Nouvelle-Zélande ! Le nom de Rousseacées étant antérieur à celui de Carpodotacées, c’est le premier qui a été retenu pour nommer la famille regroupant Roussea et Carpodotus. Rousseau a donc non seulement un genre qui lui est dédié, mais aussi une famille entière de plante !

Cette information est peu connue, et l’on n’en trouve que rarement mention, même dans un site comme celui du Musée Jean-Jacques Rousseau à Montmorency [12], où l’on peut cependant utilement compléter sa découverte de Rousseau botaniste.


Texte·: Marc Philippe


 

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